Une ville de morts-vivants. Il y en avait partout. Ça grouillait dans tous les recoins. Tous plus sanglants les uns que les autres. Celui-ci avait un trou dans le ventre et on voyait des organes en sortir. Un autre avait perdu un oeil, tandis que celui qui lui restait pendait le long de sa joue. De ce côté, un homme coupé en deux, le côté droit étant à la recherche du côté gauche. Le sol était recouvert d'un rouge écarlate. Il y avait des bouts de chair un peu partout. Des vers avaient déjà élu domiciles dans la plupart d'entre eux en marquant leur territoire par des petits morceaux grignotés. Quel étrange façon de s'approprier une maison. Un peu plus loin, deux cadavres étaient en train de s’entre-tuer. Une bataille assez stupide, en soit. Sauf si on peut de nouveau mourir après la mort. En tout cas, peut-être ressentaient-ils la douleur. Cependant, il y avait de quoi avoir des doutes. L'un d'entre eux ne cessait de perdre son doigt, et cela ne semblait lui faire ni chaud ni froid. Tous ces cadavres offraient une scène des plus...amusante. Jack était au beau milieu de ce cimetière réanimé, souriant à ce spectacle, en train de manger une pomme qu'il venait de trouver dans sa poche quelques secondes plus tôt.

Sur ce, il se prit un panneau en pleine figure. Parce qu'à force de regarder les cadavres, il oublia de regarder là où il allait, lui et donc forcément, ça devait finir par arriver. Voilà ce qui arrive quand on rêvasse de trop. C'est quand même très douloureux. Je ne sais pas si vous vous êtes déjà prit un panneau en pleine face pendant que vous marchiez mais... je ne vous le souhaite pas. Enfin bref, toujours est-il que Jack, ce n'était pas la première fois que ça lui arrivait. Il avait l'habitude. Mais ça n'empêchait pas qu'il avait mal. Au moins, ça le sortit de sa rêverie.

Parce que, vous vous doutez bien qu'en réalité, il n'y avait pas l'ombre d'un zombi. En effet, Jack était dans une rue, dans laquelle il y avait pas mal de monde. Mais tous vivants à 100%. C'était juste qu'il était en train de les imaginer morts, c'était tellement plus amusant que de regarder des gens faire leur marché. Parce que oui, il était sur la place du marché, ce qui expliquait le monde pas possible. Ce qu'il faisait là ? Eh bien je l'ai déjà dit. Il imaginait les passants en mode zombi. Pourquoi ici ? Bah en fait, il le faisait depuis un moment, et comme il marchait tout en pensant, il avait fini par atterrir dans cet endroit, laissant ses pas aller où ils avaient envie d'aller. L'endroit était donc des plus ordinaires. Des gens, des marchands qui crient à qui veut bien l'entendre que son poisson est frais, des clients qui disent le contraire, des disputes, des bastons, bienvenue dans le petit village gaulois qui résiste encore et toujours à l'envahisseur. Enfin, ça dépend des envahisseurs. Parce que oui, ils résistent aux envahisseurs romains, mais manifestement pas aux envahisseurs poissons pas frais. Bref.

Jack se frotta le front -qu'il avait rouge après le coup qu'il venait de se prendre- et regarda le panneau sur lequel il avait foncé. Il y avait écrit dessus « place du marché ». Il se retourna... ah ouais, tient, il était au marché. Mais quelle idée de mettre un panneau aussi stupide ? Quand on arrive dans le coin, on se doute bien qu'on est pas dans un musée. Et puis tant qu'à faire, ils pourraient les mettre ailleurs, leurs panneaux. Par exemple, là où il ne se le prendrait pas. Comment ça « c'est pas assez précis » ? Oui, bon, certes. Et puis c'était vrai que Jack s'était déjà prit des trucs plus improbables que ça. Dans son répertoire, il y avait des trucs pas mal. Sans compter tous les trucs sur lesquels il trébuchait. Et là, on trouve des choses encore plus bizarres. On a pas idée de laisser des bouilloires traîner par terre. Enfin bref.

Inutile de s'attarder sur un pauvre panneau qui n'avait absolument rien demandé. Jack croqua à nouveau dans sa pomme et s'apprêta à tourner les talons quand il sentit quelqu'un l'attraper par le bras. Quand il se retourna, il vit une femme assez vieille et surtout, l'air en colère. Elle lui hurlait dessus en l'accusant d'avoir volé une pomme -celle qu'il était en train de manger en l'occurrence. Mais ça ne pouvait pas être lui le voleur dont elle parlait vu qu'il avait trouvé cette pomme dans sa poche. Ce qu'il dit à la dame, afin qu'elle le laisse tranquille. Sur ce, elle hurla encore plus fort en disant qu'elle avait vu la pomme tomber dans sa poche, qu'il l'avait fait exprès et blablabla. Remarque, ça expliquait comment elle s'était retrouvée dans sa poche. En plus, ce n'était pas improbable. Un client regarde la pomme, ne la trouve pas à son gout -il aurait eu de bien mauvais gout, d'ailleurs- la repose, mais mal, et quand Jack passe, la pomme tombe et se glisse dans sa poche. Voilà, logique. Bon, peut-être pas tant que ça, mais si on considère que Jack est une personne à qui il arrive toujours des trucs improbables qui sont témoins de sa chance, c'est tout à fait possible. En attendant, la dame avait peut-être raison à propos de la pomme. Et comme il n'avait pas envie qu'elle continue à l'embêter et à le pourchasser à chaque fois qu'elle le croiserait à l'avenir, il lui tendit la pomme pour qu'elle la reprenne. Mais elle n'en fit rien, hurla encore plus -si si, c'était possible- parce qu'il avait déjà croqué dedans et qu'elle serait invendable. Elle lui demanda de payer sa pomme. Manque de bol, Jack était fauché, comme d'habitude. S'il avait de l'argent, ça se saurait, hein. Bref, la madame s'énervait de plus en plus et Jack l'écoutait de moins en moins. Il était en train de l'imaginer avec la moitié de son visage sans peaux. C'était trop marrant.

-Avec l'oeil coupé en deux, et du sang qui en sort, ce serait encore mieux...

Oups, il avait pensé à voix haute. En tout cas, la femme avait cessé de hurler, pour le coup, surprise et choquée par ce qui venait de sortir de la bouche du jeune homme. Ouf, elle avait l'air de le lâcher un peu. Bon, Jack n'était pas malhonnête, il fouilla ses poches et prit le premier truc qui lui passa sous la main et le mit dans celle de la dame. Un stylo. Sûrement que ça valait autant qu'une pomme. En même temps, il n'avait pas vraiment une réelle idée de la valeur des choses. Bref, il profita que la marchande soit encore sous le choc pour se barrer. Il n'allait quand même pas rester ici toute la journée. En plus, il craignait pour ses tympans. C'est qu'elle criait fort.

Du coup, quand elle fût sortie de son choc, elle ne trouva plus le jeune homme qui lui avait volé sa pomme, mais trouva un stylo dans sa main. Non mais il se foutait d'elle ou quoi ? Elle repartie à sa recherche ! Elle aura son argent !

Jack, de son côté, avait déjà passé l'éponge sur ce qui venait de se passer. Il marchait sans faire attention où il allait. Comme quoi, la leçon du panneau n'était pas rentrée. Une fois de plus. Et puis il décida de s'asseoir contre un mur dans une rue un peu en retrait de la foule pour se reposer un peu. Il avait beaucoup marché sans s'en rendre compte, mine de rien. Il termina donc sa pomme tranquillement -il l'avait mérité, il l'avait payé, quoi !- puis il sortit de sa poche une feuille blanche. Bah tient, il en avait une ? Des fois, il se demandait si les choses n'apparaissaient pas par magie dans sa poche. Il devait être un magicien, inconsciemment. Mais alors très inconsciemment. Dans le plus profond de son inconscient. Parce que s'il faisait de la magie, il ne s'en rendait pas compte. Chose plus originale : les magiciens font apparaître des trucs dans leur chapeau. Jack avait un chapeau, mais les trucs apparaissent dans ses poches. D'ailleurs, pourquoi un chapeau ? Est-ce qu'un mec, un jour, il s'est regardé dans son miroir alors qu'il portait un chapeau et qu'il s'est dit « Tient ! Ce serait marrant qu'un lapin sorte de mon chapeau ! » ...Et puisqu'on en parle, pourquoi un lapin ? J'veux dire, ça aurait pu être un chat, ou une souris ! C'est plus petit, les souris, ça s'adapte mieux aux différents styles de chapeaux. Peut-être que le mec en question avait une aversion des souris parce qu'il en avait dans sa maison quand il était petit et qu'elles mangeaient toujours son fromage préféré. Donc il a choisit les lapins parce que, eux, ils mangeaient des carottes, et lui, il n'aimait pas les carottes donc ça l'arrangeait bien pour s'en débarrasser dès que sa mère avait le dos tourné. Parce qu'en plus, il ne mangeait pas de carotte, donc il ne devait pas être très aimable, comme gars. Enfin bon, c'est ce qu'on dit que les carottes rendent aimables, mais bon, quelqu'un sait pourquoi ? C'est sans doute un truc inventé par les adultes pour faire manger leurs carottes à leurs gosses. J'vous jure, des fois ils utilisent de ces ruses. Ruses qui ne fonctionnent même pas, quoi. Personne ne mange un truc qu'il n'aime pas sous le prétexte plus que pas crédible du "ça rend aimable".

Et là, une souris sauta sur Jack et rentra vite chez elle après. Ce fût un passage bref qui fit sortir le grec de ses pensées sur les carottes et tout le bazar. Ouais, il s'était bien égaré, là. Il regarda la feuille blanche devant lui. Ah oui, c'était ça. Il venait de sortir ça de sa poche avant de partir dans un débat sur les magiciens. Bon. Puisqu'il avait ça, autant dessiner dessus. Il chercha un stylo dans sa poche. Il savait qu'il en avait un. Il s'en servait toujours pour dessiner dès qu'il en avait l'envie, c'était la seule chose qu'il était sûr de retrouver dans sa poche. Mais là, il ne le trouva pas. Etrange. Pourquoi il ne le trouvait pas ? Et là, il repensa à l'autre femme du marché. Ah zut, il lui avait filé son stylo...

...Bah...De toute façon, il n'y avait pratiquement plus d'encre.