Sa voix avait claqué dans l'air du matin, sèche, froide et sans appel.
Ca s'appelait un ordre, fit savoir le cerveau de Jude à sa propriétaire tétanisée. Un ordre.
Elle devait obéir... totalement, complètement soumise. Elle n'avait pas d'autre choix si elle voulait sa vie, en même temps ...
Debout.

Bien. Jude se releva tant bien que mal. Elle retomba immédiatement et agrippa à la chemise noire du terrifiant inconnu, la peur de se faire mal était plus puissante pour l'instant que la peur que lui même lui inspirait. Après avoir seulement réussi à ouvrir totalement les boutons de la chemise de son tortionnaire et à salir son short blanc, Jude fut prise d'un nouveau sanglot nerveux, sans larmes, plus un bruit étouffé traduisant la peur qu'un véritable chagrin.
Il allait la hair pour ça...

Ca lui faisait peur. Elle ne voulait pas qu'on la haïsse, juste qu'on l'aime, et qu'on lui foute la paix... Elle faisait honneur au titre de " pauvre femelle, être inférieur et sans fierté ".
La fierté, en fait, elle n'en avait plus rien à battre, elle l'avait laissée loin derrière... Si jamais elle en avait eu un jour.

« Je ... je ... suis ... d... dé... dés.... désol... »

Ce mot l'importunait.

« Navrée. »

C'était tout ce qu'elle pouvait dire sans trop de risques à son humble avis.
Jude se releva, les yeux baissés, rivés sur les pieds de l'inconnu aux cheveux cendrés, fit un pas en avant et s'évanouit sur lui sous le coup de la frayeur.

Epic fail.

Tout était noir autour d'elle, les ténèbres...
Et pourtant, pour la première fois depuis longtemps, elle n'avait pas peur. Elle avait beau être seule, au fin fond de ce qui semblait être un puits ... sans fond, c'est à dire fichtrement loin sous terre, perdue au milieu de nulle part, elle n'avait pas l'once d'une crainte en elle.
Elle ne se souvenait pas de comment elle était arrivée là, mais avait l'impression d'être emprisonnée dans du coton, pas de tomber, et pourtant, elle voyait la lumière, là haut, devenir de plus en plus petite, passant de la taille d'un ballon à celle d'une bille, jusqu'à disparaître totalement.
Jude était toujours aussi sereine. Rien ne pouvait l'attendre, son sentiment, son fléau, elle l'avait laissé là haut, avec le pamplemousse de lumière... Mrah. Soudain, sa chute s'arrêta, le coton, lui continua de tomber.
Elle avait l'impression de se tenir en plein milieu de l'univers, loin de toute étoile, dans le froid... Car il faisait bien froid, d'un coup... Elle se sentit remonter, poussée par une force qui était la douleur.
Son corps, là haut, avait besoin d'elle... Elle remonta le tunnel plus vite encore qu'elle n'avait chuté, et bientôt, la boule de lumière vint emplir son champ de vision, oblitérant totalement les ténèbres épais qui l'environnaient...

Elle voyait un ciel bleu, sans trop de nuages, et un homme aux cheveux pâles, comme décolorés de trop, aux yeux bleus, entre le bleu roi et le bleu saphir, quelque part par là, qui lui parlait. Mais elle n'entendait rien, elle sentait juste sa tête qui l'élançait... Et une terrible douleur, une morsure glacée, à sa main.

Jude hurla, pas de panique, mais de douleur cette fois. Que ça s'arrête que ça s'arrête...

Elle n'entendait pas son cri.

« ARRÊTE ! »

Elle n'aurait jamais osé donner un ordre à une personne réelle si elle n'avait pas senti dans chaque cellule de son cerveau que c'était une nécessité absolue.

Elle aurait vraiment, mais alors vraiment préféré rester inconsciente, au moins, elle ne sentait rien, ni douleur, ni froid, ni panique ... Là, c'était tout en même temps, combo, jackpot, un ramassis de tout ça, et c'était désagréable...
S'il ne lâchait pas la pression dans peu de temps, elle deviendrait folle, c'était sur et certain... C'était trop insupportable pour elle, qui avait la malchance d'être sensible. Une malchance parmi tant d'autre.
Une de ces autres, c'était qu'elle avait bousculer sans faire attention un des psychopathes de la ville.

Elle ne sentait plus du tout son bras. La douleur était telle que son cerveau avait coupé les ponts, désactivé les nerfs sensoriels dans cette partie là de son organisme. Elle ne sentait plus qu'un vague fourmillement froid, comme quand on pose son doigt sur un glaçon en train de fondre, et encore... Le cerveau humain était drôlement bien foutu. Mais si il devait en arriver à des extrémités pareilles, c'était que ça n'allait pas, pas du tout...
Peut être même qu'elle ne retrouverait jamais l'usage complet de son bras, qu'il serait pris au piège dans un étau de glace pour le reste de ses jours. C'était son bras gauche.
Jude recommença à paniquer. Comment allait elle faire pour dessiner ?

Ta vie est en jeu et tout ce qui t'interesse, c'est le dessin... tu fais pitié.

Les larmes cessèrent de couler de ses yeux presque blancs, cachés par la teinte citron des lunettes. Les gens étaient souvent effrayés par un tel regard, et comme elle savait ce que c'était que d'avoir peur, elle mettait des lunettes teintées au lieu de verres normaux ... Au cas où elle voyait des gens, ce qui arrivait très rarement, il fallait bien le reconnaître. Peu importait, de toute manière, étant donner qu'elle allait mourir ici, en place publique, comme un ... sacrifice. Des gens commençaient à se rassembler autour d'eux deux, attirés par les cris de douleur stridents de la jeune fille aux cheveux cuivrés, surement.
Certains chuchotaient, d'autres ricanaient, beaucoup échangeaient des regards, mais aucun n'avait l'air décidé à intervenir.

La dure loi de la jungle.

Il fallait qu'elle se sorte de cette merde noire toute seule.
La douleur cessa enfin. Elle le sut car elle la sentit à nouveau, mais qui se retirait, se rétractait, descendant de son épaule à son coude, de son coude au bout des doigts, d'où elle glissait, tentant vainement de agripper.

Son tortionnaire dit à Jude quelque chose qu'elle ne comprit pas sous l'influence de la douleur. Elle lui lança un regard plein de peur panique et de haine pure, censé être effrayant, qui ne l'était surement pas pour lui.

" Qu'as-tu à m'offrir pour que je te laisse tranquille ? "

Ca, elle l'avait bel et bien entendu... Jude baissa le regard.

« What ever you want. »

Elle secoua la tête. Elle ne savait pas ce que ces mots signifiaient, mais souvent, quand elle était perdue, cette langue étrange surgissait dans sa tête, sans qu'elle comprenne bien le sens après coup, même si, dans l'instant, ça lui semblait limpide.
La peur au ventre, Jude se ressaisit, ou du moins, tenta.

« T... tout ce que tu... v... veux. »

Si c'était le seul moyen d'être en paix...

Elle était dans une merde noire.
Elle n'avait ni arme, ni argent, ni rien de valeur, du moins, pas pour lui, elle en était sure... Tout ce qu'elle trimballait sur elle était sans importance pour les autres, et pour elles, c'étaient quasiment des talismans, sacrés.

Jude se raidit, le regard figé. Elle réfléchissait à toute allure, assise sur ses talons, sa jupe blanche étalée tout autour d'elle. Elle était sale, maculée de terre... Dommage, Jude aimait bien ce vêtement.

Mais qu'est ce que tu nous fait là ? Idiote idiote idiote...

Jude continua de s'insulter intérieurement. Elle ne faisait rien pour se rattraper elle même, elle se trouvait vraiment lamentable, il n'y avait pas d'autres mots... Une lamentable trouillarde.

Elle prit son courage à deux mains et répondit. Inutile de préciser, bien sur, qu'en prenant son courage à deux mains... Elle referma les mains sur du vide, il n'y avait rien, rien du tout, juste un vide béant, à la case " courage ". Elle rangea donc ses mains mentales dans un coin de son esprit torturé, toujours en proie à un dilemme, qui se préparait à une grande prouesse : parler quand on le lui demandait. Sans bégayer.

« ... »

Raté. Elle prit une autre inspiration, plus profonde encore que la précédente, et retenta sa chance avant qu'il ne s’énerve... encore plus.

« Y... Yacii. Je n'ai pas d'ar... gent. »

Et c'était vrai. Elle avait dépensé ses dernières petite pièces clinquantes pour acheter son sandwich plus tôt dans la matinée, qui avait fini par terre, servant de nourriture pour les pigeons du coin. Quel gâchis.
Qu'allait-il faire d'elle, après ça ?
Elle lui était tout à fait inutile.
Jude commença à trembler comme une feuille morte en hiver. Elle s'était courageusement accrochée à son arbre, mais cette fois, le coup de vent serait trop fort, il allait la faire tomber.
Adieu.

Jude sentit qu'il activait à nouveau son pouvoir si dévastateur, qui faisait si mal...
Elle sentait encore la trace sur ses joues, là où les larmes salées et amères de la douleur avaient coulé. Sous le coup de la panique, la peur, cette sensation béante dans la poitrine, elle fit quelque chose qu'elle n'avait jamais fait à personne, et, étant plus ou moins " gentille " , n'avait jamais imaginé faire, de peur des représailles .... Mais tout, tout plutôt que le froid.

Elle fit un pas, fut prise d'une nausée terrible, faillit vomir, se reprit, une boule dans la gorge, son ventre l'élançant horriblement, sa tête tournant, mais pas seulement à cause de la terreur cette fois ci... Ca n'était pas naturel. C'était lui qui lui faisait ça.
Jude fit un deuxième pas, des sentiments identiques montèrent, plus puissants encore. Elle ne savait absolument plus ce qu'elle faisait.
Elle était à quelques centimètres du délavé, maintenant.

Elle sentait son odeur, chimique, artificielle, pas naturelle...
Et elle lui décolla une gifle monumentale. Dans l'espoir que ça le déstabilise assez pour qu'il arrête...

Aussitôt après, la nausée cessa un peu, bien que toujours présente. Horrifiée, pleine de sueurs froides le long du dos, Jude regarda sa main. Pour la première fois de sa vie, pour aussi loin qu'elle s'en souvienne, elle avait frappé quelqu'un, elle qui était si faible, si inoffensive...
La peur fait faire des choses terribles.

C'était un véritable fléau.
Et comme si ça ne suffisait pas, Jude sentit à nouveau son estomac monter, sous l'influence des produits chimiques contre nature infligés dans son sang de trouillarde. Elle se pencha, et rendit tout le contenu de son estomac, panini compris, sur les chaussures de Lewis.

Amen.

Jyerk...
Elle aussi, ça lui retournait l'estomac. Bien plus qu'à lui, pour lui, ça n'était qu'une image... Elle, c'était à prendre au sens propre du terme. Même si elle n'avait plus rien à retourner, là... Elle avait déjà tout rendu sur les belles jambes du timbré.
Elle avait un gout acide dans la bouche, mais pas question d'aller la passer sous l'eau fraiche, ou boire, ou même d'aller nulle part pour le moment ...
Il eut une réaction tout à fait prévisible, selon Jude, qui avait à peu de choses près, cerné le personnage, désormais.

Il se jeta sur elle, la plaquant au sol, ses deux mains enlacées autour de son cou gracile et nacré, sacré.
Elle toussa. Grave erreur, l'air diminua grandement, elle avait du mal à respirer... Cette fois, il ne se donna même pas la peine de s'amuser avec son pouvoir. Il se laissa aller à la violence pure, physique, îvre de haine aveugle. Mais cela ne dérangeait même plus Jude, qui se laissa faire, abattue.
Après tout, elle récoltait ce qu'elle avait semé...

Elle allait mourir, enfin la libération de cette peur constante, ce poids glacé sur les entrailles... Elle en était presque heureuse.
Sauf que voila.
Elle ne voulait pas partir comme ça, elle avait peur de la mort... Et là, au lieu d'une libération, c'était le pire des calvaires, presque pire que le froid...

Jude fut prise de convulsions et de sueurs froides, elle ferma les yeux et perdit connaissance, petite, innocente, perdue. Elle gémit dans son inconscience, une sorte de piaulement à vous fendre le coeur... Sauf que nom.
Cet... animal enragé n'avait pas de coeur.
Les jambes de Jude tressautèrent de plus belle, tandis qu'elle se convulsait sous lui.

Elle avait espéré plus classe, comme fin, aux prises avec les psychopathes impalpables et invisibles qui planaient en permanence autour d'elle, ou au moins, étranglée par un pépin de pamplemousse... Pas ça.

Jude reprit connaissance, et toussa à nouveau, chassant définitivement les pauvres réserves d'air de ses poumons. Le comble, c'est qu'il s'y prenait mal. Un pression sur la carotide et c'était fini, là, c'était sale, il en avait pour plusieurs minutes...

Les lunettes de Jude tombèrent, dévoilant ses yeux quasi-blancs, d'un bleu argenté très clair, très pur, et elle lui lança un regard d'incompréhension totale, d'abandon, espérant qu'il aurait assez de conscience pour ne pas aller jusqu'au bout.

Jude ne sentit pas l'hésitation de Lewis, ne sentit pas qu'il s'était figé à la vue de ses yeux, elle était bien trop occupée à trouver de l'air, à survivre...
Quand il relâcha son étreinte, ce fut un soulagement immédiat. L'air arrivait à nouveau. Elle prit une grande bouffée, comme une noyée dont les poumons se sont déjà remplis d'eau, qui va mourir, mais qui, dans un dernier espoir, tente de capturer un peu d'air dans le liquide ...

Puis les mains hostiles partirent définitivement. Libération. Cette fois, l'air accéda bien aux poumons, rafraichissant sa trachée comprimée, un renouveau, une résurrection ... Elle ressentait tout ça en même temps. Plus ... de l'incompréhension. Il ne lui restait que quelques secondes et s'en était fini d'elle.
Pourquoi avait-il cédé ? Pour ne pas avoir une mort sur sa conscience ? Une tache de sang au milieu de son esprit, sa mémoire ? Ca serait étonnant.

Jude fut prise d'une quinte de toux magistrale, mais, curieusement, son asthme ne se manifesta pas, ce qui était un soulagement, teinté d'une crainte de le voir pointer le bout de son nez pointu.

Elle se releva tant bien que mal. Des papillons noirs dansaient devant ses yeux. Elle vacilla, se retint à ce qu'il y avait de plus proche, à savoir un arbre, et décida d'exécuter l'ordre qu'il lui donnait.

Pars.

Elle fit volte face, cherchant le portail, commença à partir, s'arrêta, jeta un dernier regard à l'inconnu, flou sans ses lunettes, qu'elle tenait au creux de sa main. Elle lui fit un sourire timide, et inclina la tête, reconnaissante.

« Merci. »

Après tout, il l'avait laissée tranquille, il n'était peut être pas si mauvais...
Une poussée d'adrénaline paniquée la fit se reprendre, elle remit ses lunettes sur le bout de son nez et repartit, courant à toutes jambes, passant par le portail sans s'arrêter, sa jupe blanche volant derrière elle, comme la trainée d'une étoile filante.