« Pour éviter les Gendarmes »

Lhexee L. Jane. With Treize C. Heaster.

Blague.
Non, Lhexee n’était pas bourrée sur une route de campagne dans un vieux tacot au pare-choc branlant. Elle était parfaitement sobre, au beau milieu d’un parc, à pied, et tenait dans sa main droite son arme rutilante. Sifflotant un air dont elle ne se souvenait plus les paroles, la jeune fille sillonnait ce qui restait de parc. Il ne restait plus rien, ou pas grand-chose, qui pouvait justifier l’emploi du mot « parc » pour cet endroit. Touffes d’herbes grisâtres, arbres défraichis, flaques d’eaux boueuses à l’air douteux. Plus loin, une vieille balançoire de fer rouillée grinçait sous le vent léger. Lhexee remonta les manches de ses mitaines de laines blanches, couvrant ses avants bras nus. Elle décida de s’approcher de ce qui avait été, un jour, une aire de jeu.

On pouvait entendre les cris des enfants s’amuser, dans le vent. Un souvenir qui restait accroché. Qui restait, ne voulait pas partir. Et pourtant. Aucun enfant ne voudrait plus s’amuser dans ce genre d’endroit morbide. Dans le bac à sable, elle pouvait voir des morceaux de poupées. Des poupons sans yeux ni bras, des voitures auxquelles il manquait des roues, des pelles et des seaux délavés. Un vieux tourniquet semblait pouvoir s’effondrer d’un moment à l’autre.

Un tel spectacle en aurait envoyé en dépression plus d’un. Pas Lhexee. Elle sourit légèrement, abandonnant la scène de désolation. L’ultime preuve qu’un jour, la joie avait pu s’entendre d’un bout à l’autre du parc. Ce qui n’était plus le cas aujourd’hui. Lhexee n’était pas du genre à se morfondre. Pas pour si peu. Elle leva le bras, se le cala de façon à se que la pointe de son arme tombe dans son dos, vers le bas. Elle s’arrêta près d’un banc, leva le visage, paupières closes, vers le ciel. Le vent caressa les contours doux de son visage, envoyant voler ses longs cheveux noirs de part et d’autres de son visage.

Les Bénuchards. Un groupe français, d'une certaine région, ce qui faisait que je comprenais à peu près les paroles de leurs chansons. Qui n'étaient pas toujours très finaudes, mais qui honnêtement remontait le moral de ceux qui parlaient ou comprenaient la langue de Molière. Si Molière s'était déjà exprimé ainsi. Je ne suis pas sûre que ce soit un alcolo de bas étage... C'est avec mes écouteurs enfoncés dans mes oreilles que je me dirigeai vers le parc. Au détour des arbres qui autrefois était plantés au millieu d'une pelouse impeccable n'étaient plus que des troncs morts ou agonisants, dans un chaos de mauvaises herbes et de ronces proliférantes. Et derrière ce champ de bataille végétal, une aire de jeux. Un bac à sable, des structures dont la peinture écaillée avait perdu ses belles couleurs vives. Des balançoires que le vent faisait grincer. Un cimetière de joies et d'amis en plastique, bois ou tissu. De métal ou d'une autre matière, les jouets jonchaient le sol sabloneux. La désolation, dans ce petit carré qui autrefois était envahi par les jeunes pousses. Des enfants qui n'étaient plus là, leur enfance ravagée par un accident, pathétique mais dont les conséquences étaient omniprésentes ici. Tout le monde avait été affecté et l'était encore. Pour des milliers d'années, si ce n'était plus. Je m'assis sur un banc encore debout, et regardait les oiseaux loin dans le ciel, au dessus de la bulle. Eux étaient libres.
Une jeune fille aux cheveux noirs s'arrêta à ma hauteur. Elle ne semblait pas m'avoir remarquée, moi petite chose perdue dans la contemplation des êtres volants et libres. Tellement hauts, tellement plus heureux que nous. Je soupirai, et retirai mes écouteurs. Sans parler, je la regardai. Elle ne semblait pas être beaucoup plus âgée que moi. Yacii, Thergal, Malvienn ou Anaril, impossible de savoir. C'était devenu tellement important, pour quelque chose résultant d'un cataclysme. L'espoir que l'on cherche dans le désespoir.

Baissa le visage.
Et recula d’un pas, surprise dans un moment où elle ne pensait pas l’être. C’était la définition même de la surprise, si on s’y attardait un moment. Mais elle n’avait pas envie de s’y attarder. Elle préféra baisser le regard vers la jeune fille qui la regardait. Jeune, un peu plus qu’elle sûrement, les cheveux châtains, des yeux bleus-verts vifs, elle n’esquissa pas un geste, n’ouvrit aucunement la bouche. Lhexee sourit, s’assit sur le banc à côté d’elle, posa son arme canon contre terre. Elle passa la main dans sa chevelure noire, en repoussa des mèches pour les coincer derrière les oreilles. Mais ça ne servait à rien. C’était le problème des touffeland de son genre.
« Hey. Je suis Lhexee Jane. Et toi ? »

Yeeah, de la compagnie. La solitude ne dérangeait pas du tout la jeune fille brune, mais un peu de contact humain ne la dérangeait pas. Elle fit tourner une mèche de ses cheveux entre ses doigts, s’amusant à l’enrouler, la libérer, la reprendre. Elle aussi rêvait de liberté. Rêve qu’elle savait impossible, futile. Elle était prisonnière de cette foutue cage, condamnée à y rester pour un sacré bout de temps. Si ce n’est plus. Et errer serait un terme qui conviendrait mieux. Elle errait, se baladait au gré du vent, au gré des idées qu’elle n’avait pas. C’était comme ça, ça arrivait, ça venait, ça repartait. Parfois, elle se réfugiait dans un endroit isolé et ne bougeait pas pendant quelques heures, voire quelques jours. Parfois, elle avait tant d’énergie à dépenser qu’elle faisait le tour du parc en courant, ou s’entraînait au tir pour se défouler. Lhexee était une boule de nerf, une lunatique refoulée. Elle plissa les yeux, suivit des yeux la course de quelques grains de sable dans l’air. Se tourna de nouveau vers la jeune fille châtain. Amie ou ennemie ?