La musique m'aidait à tenir quand j'étais toute seule. Un bon air, et ma tête se vidait, comme un lavabo plein que l'on débouche. En quelques secondes, tout est partit. Que du vide, un vide reposant. La musique est un éffaceur. Ephémère, mais très efficace. Les paroles de la chanson défilaient dans ma tête, agréablement accompagnées par un air qui me plaisait. Chaque piste de mon balladeur était choisie avec soin. Je n'avais pas tellement eu l'occasion de le mettre à jour. D'une pression légère sur un bouton la musique changea. Un instant de silence, et les instruments emplirent mes oreilles de bruit délicieusement mélodieux via mes écouteurs.

Editors. Un très bon groupe, dont je n'écoutais qu'une seule piste en ce moment. Peut-être réécouterai-je les autres dans quelques jours. Peut-être pas. Tout dépendait de mon humeur. J'arrivai en vue de l'hôpital. Je frémis, partagée. Aller voir Heather, ou se barrer. Je n'aimais pas les hôpitaux. Ils m'avaient toujours fait flipper, sans que je sâche vraiment pourquoi. L'odeur, rien que cette odeur artificielle et froide. Metallique. Imaginer des instruments en acier chirurgical qui fouinent dans votre corps, impitoyables. Comme avides de sang. Des instruments de torture. Mais il fallait que je fasse un effort. Pour une fois dans ma misérable petite vie.

Je me mis à fredonner pour me donner du courage. Va donc voir Heather petite chose. Je pris une grande inspiration, et quittai à regret mes écouteurs. Je franchis la porte vitrée, et me faufilait entre les infirmiers et les blessés, malades en tous genres. Le cou rentré dans les épaules et le visage caché par ma tignasse, je fonçai. Cette odeur... Beh. Je serrai le bouquet de fleurs que j'avais apporté, et bifurquai dans un couloir. Merde, mais c'est pas un hôpital, c'est un labyrithe! A tout hasard je poussais une porte. Aller, on croise les doigts.

" ... Heather? "

" Non, Heather n'est pas ici. Ici, c'est mon cabinet. Je me présente, Dr. Kei Leadaway, mais tu peux m’appeler Kei, ou Docteur si tu préfères. Sinon, tu as besoin d'une consultation, pour te faire dépister ? On sait jamais avec tout ce qui traine dans cette ville... Allez hop. "

Oh, la merde. L'homme qui se trouvait dans la pièce m'entraîna avec lui, sans que j'ai le temps de protester. Bon, se barrer en courant était exclu. Il était bien plus grand et fort que moi, et sans doute me retiendrait-il. Il enfila deux gants en latex. Son geste eu pour effet de m'agacer, et de m'angoisser. L'horreur. L'horreur. J'avais l'impression d'être un rat de laboratoire, un pauvre cobaye qui allait se faire étriper, qui allait mourir pour la science. Ou pour amuser un pauvre tordu. Et puis non, pour me faire dépister c'est même pas la peine d'y penser. Je le saurais si j'étais séropositive. La porte se ferma toute seule, et il s'adossa contre elle. Pedobear's return.

"Alors alors... Comment s'appelle une femme qui a oublié de prendre sa pilule ?

- Une femme enceinte? "

Allez, détends-toi Treize, tu vas sauter par la fenêtre ou hurler et tout se passera pour le mieux. Et après on se demande d'où viennent les phobies des gens. Ils rencontrent des tordus, dans un certain cadre et pouf. Les voilà allergiques à ce type de lieu. Et ce n'est pas la présente situation qui va m'aider à aimer les hôpitaux. Je savais que mon couteau était dans ma poche, mais je n'avais pas envie de m'en servir, ne serait-ce que pour le faire bouger. Arme de dissuasion innefficace. Il ne se laisserait surement pas impressioner par la crevette que j'étais. Une petite bête innoffensive. Qui avait pourtant tué des gens. Berk.

" Laissez moi partir. Maintenant. "

J'avançai vers lui, et posai ma main sur la poignée de la porte. Vous me libérer ou j'utilise la manière forte?

Ca c'est une tentative de séquestration ou je ne m'appelle pas Treize Heaster. Il semblait contente de ma réponse. Enfin, quand même, ce n'était pas très difficile. Quoique... cette devinette était étrange. Une femme qui oublie de prendre sa pillule n'a pas forcément de rapports sexuels entre deux... C'est.... Paradoxal. Il sembla réfléchir un peu à ma demande, avant de faire non de la tête.

"Pas maintenant, non. On commence tout juste à s'amuser."

C'est pas cool ça. C'est pas bon pour moi en fait, parce que lui n'a rien à craindre de moi. Alors que moi, je dois me méfier de tout. Y compris de ma petite personne. Il enleva ma main de ma poignée, me faisant frissonner au passage. Il n'avait pas le droit de me toucher, ne serait-ce que la main.

"Et puis, si tu es ici c'est bien pour une raison précise, hum ? Un dépistage, un rappel de tes vaccins, un petit examen médical et je te laisse aller voir ta copine."

Laisse moi réfléchir un instant. Depuis quand n'ai-je pas fait de vaccin? Ouah. Ca doit dater, je ne m'en rappelle même plus. Enfin... j'avais aussi un don pour chasser les détails inutiles -et encombrants- de ma mémoire. Un ordinateur nettoyant ses disques durs.

" Oui je suis là pour une raison précise, mais ce n'est pas vous que je venais voir.",soupirai-je, exaspérée par le médecin aux yeux violets. M'ignorant complètement, il enchaîna, enjoué. Ben didons, ça à l'air de te faire plaisir d'avoir de la visite. Et le fait que tu m'enfermes ne serait-il pas lié au fait que tu agaces assez les gens pour qu'ils s'enfuient devant toi? ... C'est là qu'on voit que j'ai changé. Avant je lui aurait balancé ça à voix haute. Pathétique.

"Mais avant, une petite devinette des plus faciles, tant que nous sommes dans cette ambiance hospitalière. Monsieur et Madame Cament ont un fils, comment s'appelle t-il ?"

Ambiance hospitalière? Soit c'est un jeu de mots pourri, soit on a pas la même conception de " l'ambiance hospitalière ". Je peux pas sortir, c'est pour ça que je reste. Etonnant hein?

" Medhi. Dîtes vous n'en avez pas assez de me retenir? Parce que j'ai pas que ça à faire moi. C'est bien beau les devinettes, mais j'aimerais bien partir."

Réplique de la dernière chance. Laisse moi sortir ou... Ou rien. Y'a pas de fenêtre.

Il se mit à m'applaudir, visiblement content de ma réponse. Eh bien, pour une fois que je parvenais à répondre à des devinettes sans péter un câble. Il fallait dire qu'elles n'étaient pas tellement difficiles... Soudain il se raidit, comme aux aguets. Son comportement changea du tout au tout. De guilleret il passa à légèrement inquiet. Eh bien, qu'as-tu? C'est une sirène de police que tu as entendu et tu as peur qu'ils t'arrêtent pour séquestration? Libère moi et...

"Oh, et puis zut. Vu que tu as répondu à mes devinettes, je t'accompagne dans la chambre d'Heather."

Oh? Bien, c'est pas trop tôt. Je lui emboitai le pas, satisfaite. Enfin j'allais pouvoir quitter ce bureau, et retrouver ma liberté. Si je l'avais voulu, j'aurais pu me barrer en courant. Alors que tout à l'heure, c'était totalement impossible. Il entra dans l'ascenceur, et, à ma grande surprise, pressa le bouton -1. Au sous-sol? Ben voyons. Encore une blague.

"L'hôpital est blindé, certains patients sont obligés d'être héberger au sous-sol."

Ah, peut-être pas finalement. C'était probable, il y avait eu des blessés sérieux lors de l'expédition du gouvernement. Je pouvais en témoigner. Même si moi j'avais eu la chance d'éviter de passer par la case "hôpital" dans le jeu meurtrier qu'était devenu Nightfield à ce moment là. Je frémis, mais ne dit rien. Laissant le silence s'installer, je sortis de l'ascenceur lorsqu'il s'ouvrit. Un long couloir blanc s'étendait devant nous, me faisant de plus en plus penser à une morgue. Enfer et damnation, il y avait vraiment des gens à respirer ici?

La vie est une comédie absurde qui se joue dans la multitude et se termine dans la solitude. C'était vrai, tellement vrai. On est jamais plus seul que sur son lit de mort, entouré par une foule de gens de notre famille. On est jamais plus seul qu'en plein millieu de la foule, parmi tout ces gens qui avancent, qui ne vous regardent pas. Pas un regard, pas un salut. La vie est trop dure pour que l'on se permette de perdre du temps à améliorer celle des autres. C'est une danse que l'on mène seule, comme on le souhaite. On peut fouttre sa vie en l'air ou se battre pour elle, c'est un choix qui n'appartient qu'à nous. On a parfois l'impression de ne rien contrôler, mais c'est faux. C'est cette impression que tout part en vrille, cette sensation d'être impuissant qui dérègle tout. On perd le contrrôle et c'est fini.

On a pas le droit de perdre le contrôle ici. Si on le perd une fois c'est mort, game over comme on dit. Une balle dans la tête, dans le coeur, dans le poumon, dans le cou. Tellement de moyens de mourir, tellement peu de moyens de vivre. Juste avancer, s'en prendre plein la gueule sans jamais s'arrêter.

Tu parles d'une vie.

L'infirmier me désigna des blouses tachées de sang. Bon sang, mais où étions nous? Qui avait bien pu perdre autant de sang sur toutes ces blouses? Ce n'était pas.... naturel. Cet endroit me faisant d'autant plus penser à une morgue qu'il y faisait froid. Je déclinai sa proposition, qui était d'enfiler un des vêtements blancs et écarlates. Certainement pas. Plutôt avoir froid que de me ballader avec des morceaux et des fluides humains sur le dos. Ca me révulsait assez comme ça d'être ici, fallait pas pousser.

Je le suivis, ne tremblant même pas. J'étais plus résistante au froid qu'a la chaleur, et honnêtement la température ne me gênait pas trop. Je n'aurais pas enlevé mon manteau non plus. Il entra dans une salle, où s'alignaient des tables. Moi je ne dépassai pas la porte. J'avais porté ma main à ma bouche, qui tremblait. Non, pas ça. Tout sauf ça.

"Voilà ton amie : Heather. "

Pas possible. Comment était-elle morte bordel? Mes jambes tremblaient, presque incapable de me soutenir. Elle ne m'avait jamais vraiment appréciée, mais elle m'avait soutenue quand... enfin lors de cette affaire. Elle avait été là. Il attendit un peu, et soulevait le drap. Je ne détournai pas la tête, trop fière pour reculer devant un cadavre, même si c'était celui d'Heather. J'avançai un peu, dans un état second. Ce n'était pas possible.

"Décédée dans la nuit d'hier, je dirais dans les alentours de vingt et une heure, après avoir succombé à son propre pouvoir, ou à celui de quelqu'un d'autre je n'en sais fichtrement rien. Paix à son âme, désolée pour ton amie."

Ca devenait pas très crédible son histoire. Heather ne pouvait pas avoir succombé à son pouvoir. Celui d'Ezio ne tuait pas. Et c'est pas une loutre qui aurait attaqué Heather. Je regardai avec agacement le médecin. C'est une blague?

"It's a joooke, ma chère amie. "

Il était mort de rire cet abruti en blouse blanche. De la rage flamboya dans mes yeux, et je souhaitai un instant être une malvienn... au regard revolver. Si j'avais pu le tuer de mes yeux, je l'aurais fait sans hésiter. Sinistre connard. J'avais une brusque envie de l'étrangler. Ca ne me gênerait absolument pas de lui tordre le cou, à ce crétin.

" Quelque chose à dire avant que je ne vous torde le cou? Parce qu'honnêtement, je trouve pas ça so funny comme blague. "

Et oui, j'ai déjà tué. Ca ne m'a pas plu, mais je crois que pour toi, je vais faire une exception. J'ai aucun cadavre dans mes placards, ils sont tous restés sur place. Alors? Un dernier truc à dire ?

Il n'avait absolument pas peur de moi, non sans raison. J'étais petite, maigrichonne, ridiculement frêle. Je me calmai, irritée. Il s'était bien moqué de moi cet infirmier. Je ne parlais pas, la mâchoire crispée par la rage. Oh bien sûr j'étais capable d'émettre un son, de discuter. Mais je n'en avais pas envie.

" Mais voyons, il faut prendre la vie avec un certain humour."

T'as un sacré humour toi parcontre. Je le toisai, avec dédain. Si je lui avais fait un tant soit peu confiance, c'était fini. Je me méfiais de lui comme de la peste désormais. On ne me fait pas de blague comme ça, en jouant avec mes émotions. Cela ne... ne se faisait pas tout simplement. Quelque chose d'interdit, à ne jamais faire ou reproduire. Pas avec moi en tous cas. Il agit cependant avec prudence, en ne bougeant pas. Un sourire sournois étira mes lèvres. C'est ça, crains moi.

"Et puis, si tu me tords le cou maintenant, je ne pourrais pas t'amener chez ton amie. Ça ne saurait tarder d'ailleurs, je ne vais pas tarder à reprendre mon service."

Yeah, il va aller faire chier d'autres personnes. De pauvres patients sans défense. Et puis il avait raison. Je l'avais suivi, sans trop regarder où j'allais. Je ne pouvais me permettre de lui tordre le cou. J'étais réellement perdue sans lui. Cela m'en coûtait de l'admettre, mais sans lui je ne pouvais espérer sortir rapidement. Bien sûr que je finirais par trouver la sortie. Mais quand même.... Quoique. Non, je n'avais pas besoin de lui. Je sortis de la salle, rapidement. Il reprit la parole et je m'arrêtai avec un soupir exaspéré. Quoi encore?

"D'ailleurs, quel est ton nom très chère ?"

"Mon nom est un nombre impair, à prononcer comme en français., je fis une pause, et repris en français: .... il se situe entre douze et quatorze. "

Je me détournai de lui, et filai dans le couloir. J'avançai un peu à l'aveuglette, ne sachant pas me diriger dans cet endroit flippant à souhait. Je fini néanmoins par trouver ce fichu ascenceur. Je regardai derrière moi, pour voir. Restait-il avec les morts?

J'étais dans un endroit qui m'horifiait. Une chambre d'hôpital était pour moi comme une cellule, un endroit opressant lorsque tu es tout seul. Heureusement il y avait quelqu'un. Heather m'avait toujours parue adulte, plus vieille dans ses actes que dix-huit années. Elle était jeune, mais était tellement mature. Sérieuse. J'avais l'impression d'être une enfant à côté d'elle, petite et faible. Même si je n'étais pas toujours adorable avec elle, je ne pouvais m'empêcher de l'admirer. Quelque part, c'était comme une grande soeur. Et moi, en qualité de petite soeur, je l'embêtais. C'était paradoxal, mais c'était comme ça que je voyais les choses. Je savais qu'elle ne me portait pas dans son coeur, et je comprenais. Elle me fit signe de m'asseoir, et je m'éxécutai. Je posai le bouquet de fleurs sur la table.

" Bonjour, Treize.

- Salut Heather. "

Voilà. Tout la difficulté réside dans ce petit moment ou souvent on passe pour un associal, ou un vrai timide. Demander si ça allait pouvait parraître vraiment stupide. Elle était à l'hôpital, cela suffisait. Donc pas cette question. Et voilà comme l'on refoule moult questions, affirmations, négations. Toutes les unes après les autres, refusées pour tel ou tel motif. Et ça prend du temps. Des minutes. Avant que quelqu'un n'ouvre enfin la bouche. Au moins pendant mes réflexions je ne toisais pas, involontairement ou pas d'ailleurs. J'étais plus ramassée sur moi même. Appelez moi Casimodo.